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Monique Watteau alias Alika Lindbergh, une artiste visionnaire

Monique Watteau défraye la chronique en 1954 avec son premier roman La colère végétale. Elle n’écrira que quatre romans en tout et pour tout – dont André Breton a dit qu’ils étaient des chefs d’œuvre, mais tout y est : d’une façon directe et presque ingénue, à travers une sensibilité exacerbée et proche de la nature et des animaux qu’elle sait admirablement peindre dans son écriture, elle nous livre sa vision du monde, une sorte de paradis perdu où l’homme dérange, où le bien et le mal ne sont pas forcément où on le croit.

« C'est, écrit Louis Pauwels, un monde envahi par la moiteur des mythes primitifs, vaguement éclairé par les signes que font les eaux, les pierres, le plantes et les bêtes et parcouru d'un bout à l'autre par le cri panique des sexes. »

Après l’écriture, elle se consacrera à la peinture sous le nom d’Alika Lindberg.

Ses voyages en Malaisie et à Sumatra avec son premier mari, Bernard Heuvelmans, et son observation des singes hurleurs avec le second, Scott Lindbergh, tous deux zoologues, ont fortement marqué son œuvre, empreinte d’une éthique écologique prémonitoire.

Écriture


À la veille de son départ, Mara s'adosse au mur du temple balinais. Il ferme un instant les yeux ... et puis elle est là, sa chevelure ornée d'un nénuphar. C'est un coup de foudre. Jennifer se donne très vite, bien qu'elle soit vierge, à celui qui lui révèle le plaisir et le don de soi. Seulement, quelque chose rode. Avec la découverte de l'amour physique, Jennifer s'est détournée des arbres et des plantes, à qui elle rendait hommage comme tous les Balinais, et s'est rapprochée de Saïmiri, le petit singe familier de Mara. Mais des incidents étranges ont déjà commencé à survenir, dont certains ont pris Mara pour cible. Racines, fleurs, arbres semblent doués d'intelligence, d'une intelligence inquiétante.

Rempli d'extase amoureuse et de projets, le jeune couple s'est rendu, pour s'y établir, jusqu'à Maupertuis, la demeure insulaire de la Côte d'Azur héritée par Mara de sa grand mère indochinoise.

Étrange propriété en réalité, colonisée par les rosiers grimpants qui crèvent les murs et les plafonds pour s'installer jusque près de leur lit. Mara qui prenait jusque là les angoisses de Jennifer à la légère commence à s'alarmer lui aussi, mais c'est déjà trop tard...

Dans ce livre, le végétal prend petit à petit une ampleur et une possessivité de plus en plus étouffante, voire même érotique. À l'érotisme charnel du jeune couple fusionnel répond un désir végétal grandissant pour Jennifer, que l'auteur traduit avec beaucoup de maîtrise et aussi une recherche esthétique évidente. On se retrouve plongé dans l'univers d'un peintre romantique. Les images sont saisissantes. On n'avait jamais rien lu de pareil : c'est terrifiant et beau !

Lorsque ce roman est sorti, les critiques ont parlé d'un "nouveau fantastique". Nouveau peut-être ou plutôt particulier à Monique Watteau qui, disant d'elle même qu'elle est douée pour l'amour fou, paraît effectivement douée d'une forme d'empathie extraordinaire (sensitive, émotionnelle et cognitive) qui transfigure tout ce qu'elle crée.

 

 Lors d’une soirée parisienne, Élisabeth détourne la tête au son d'un rire clair et tombe instantanément amoureuse d'un homme au regard et au corps de puma, aux longs doigts de tarsier, bref ! qui ne ressemble à aucun autre.

Pour aller le retrouver dans la sombre forêt tropicale de Bornéo où il effectue des recherches zoologiques, elle abandonne tout.

Seulement, arrivée à destination après un voyage éprouvant, elle découvre qu'un double d'elle-même est déjà, là-bas, l'épouse de celui qu'elle considère comme l'amour de sa vie.

Il s'ensuit une étrange relation triangulaire où l'animalité ambiante et la vigueur végétale de la forêt interfèrent au même titre que des personnages à part entière. L'Orang Tua, sorcier de la tribu des Muruts coupeurs de têtes du village voisin a lui aussi son rôle à jouer dans cette intrigue.

Ce conte empreint de fantastique, de sensualité et de passion révèle une plume originale, une sensibilité à fleur de peau qui non seulement ne renie pas sa part animale, mais va la traquer jusque dans ses frontières secrètes.

Nous sommes en Océanie où une délégation de scientifiques observe, photographie et capture des animaux pour les mettre en cage et les revendre à des zoos afin de financer le voyage. Lorsque Amanda a disparu, sept jours auparavant, elle était agonisante, la gangrène ayant mortellement infecté une plaie de son pied. À son retour, elle est miraculeusement guérie avec juste une infime cicatrice. Que s'est-il passé ?

La petite troupe va enquêter auprès d'une tribu de Motilones, des indiens qui vivent à proximité de leur camp, et découvre grâce à eux l'existence d'une sorte de dieu de la forêt, un grand singe roux, réputé guérisseur, dépourvu de queue et qui se déplace comme un homme.

Toute la suite de l'histoire va tourner autour de la relation entre ce grand singe particulier qu'ils ont surnommé Poutt-etît et Amanda, rongée par la culpabilité d'avoir laissé ses compagnons capturer cet être qui a révélé des capacités hors norme.

Et voilà que le fantastique s'en mêle en réveillant des créatures de l'au-delà : « Sur la peau d'Amanda, dans ses cheveux épars et dans sa propre chair, roulaient des caresses lentes, aigües et surhumaines, qui la berçaient et la liaient mieux que la terreur au fantastique univers animal, entré dans sa vie en même temps que Poutt-etît. Des flancs tièdes se pressaient contre elle avec tendresse, des bras invisibles l'enlaçaient, des griffes peignaient des cheveux avec une douceur grisante. » Dès lors, la jeune femme n'aura plus qu'une obsession : ramener Poutt-etît dans sa jungle originelle.

Ce livre est un véritable chant d'amour pour les animaux et tout particulièrement les singes.

Cobra, artiste peintre qui vivait à l'île du Levant est morte à trente ans. Ce fait est révélé dès le début du roman. L'histoire de sa liaison mystérieuse avec le Docteur Cinabre, une sommité médicale inapprochable, nous est révélée par les souvenirs de sa mère et ses lettres à sa meilleure amie.

À cela vient s'entremêler une réflexion de Cobra (avatar de l'auteur) sur l'amour, la mort, l'univers, dieu, le diable... qui fait qu'on voyage entre les visions et les rêves prémonitoires d'un esprit prédisposé au fantastique, à l'ésotérique et le portrait en creux d'un personnage diablement énigmatique. 

Tout au long du roman se posent au lecteur les deux questions suivantes : qu'est-il arrivé à Cobra ? Qui est le Docteur Cinabre ? auxquelles l'auteur évite de répondre jusqu'à la fin... où sont enfin données des réponses.

Ce roman est la dernière des fictions écrites par Monique Watteau, comme si elle avait tout dit au terme de ce livre. Il est à la fois dans la lignée et différent des trois précédents (il est édité par Julliard et non plus par Plon). Dans la lignée parce qu'encore une fois il raconte une histoire d'amour fou, d'amour absolu et cela dans une esthétique toujours étudiée et proche du Romantisme. Différent parce que si la nature et le monde animal sont toujours présents, il le sont différemment : plus de jungle mais la mer, les grands singes sont en cage et Cobra porte du chevreau et de la fourrure.

Tout se passe comme si l'intrigue se dessinait d'elle même à travers la réflexion mystique qui est le véritable sujet du récit et nous mène jusqu'à des horizons insoupçonnés, ce qui fait de cet ouvrage un essai audacieux, beaucoup plus qu'un roman.

Commencé en 1957 et terminé le 25 octobre 1961, ce livre croise le début de la liaison de Monique Watteau avec Yul Brynner (qui commence au printemps 1961) dont les traits sont également ceux du docteur Cinabre, cet ange de lumière tombé du ciel et devenu prince des ténèbres.

 

 

« C'est peut-être mon chant du cygne » dit-elle au tout début. Un magnifique chant d'amour, c'est vrai, pour les hommes de sa vie, les animaux qu'elle a aimés, la peinture qui l'a équilibrée et son attachement profond, viscéral à la nature qui fait d'elle un personnage du peuple des fées.

Un personnage, c'est sûr ! Une femme de caractère, de passions, de sensibilité et d'une intuition dont peu d'humains sont capables. Elle a su deviner et croiser la route d'autres personnages de sa trempe. Le bilan qu'elle fait de sa vie à l'âge de 72 ans nous montre une femme intelligente, clairvoyante, sereine, à qui la vie, sans aucun doute, a fait d'autres surprises, d'autres cadeaux depuis.

Elle a 89 ans cette année.

« J'ai appris à palpiter en fermant mes oreilles au bruit des mégapoles, et en voyant, en entendant, en goûtant, en touchant, en sentant, vivre la terre et les enfants de la terre : c'est cela appartenir au peuple fée...

À l'heure du bilan je sais enfin clairement où menait cette longue marche sensuelle : à ne plus vivre de l'amour que lui-même - l'émotion pure - la palpitation de la chair et de l'âme. À le dégager de tout ce qui le relie au quotidien, aux humeurs, aux ravages du temps et de la société matérialiste. Libérée de toute contrainte, désintéressée, la passion qui m'habite, cet appel qui feule dans mes entrailles et la réponse qui parfois m'est parvenue par dessus tous les interdits, les barrages et les grilles, c'est ça le bonheur des bêtes libres. »

Peinture


Bernard Heuvelmans

Yul Brynner

Scott M. Lindbergh

Suite à plusieurs demandes, je précise que je n'ai pas les coordonnées actuelles d'Alika Lindbergh, à mon grand regret d'ailleurs.

CB

Commentaires: 2
  • #2

    Jean Allemand (dimanche, 11 août 2019 00:09)

    C'est grâce à Alika que j'ai rencontré tout jeune homme ... avec son livre sur les singes hurleurs ... que j'ai pris conscience de cette vocation anthropomorphique ... qui m'a fait partager pendant 15 années la vie de deux gibbons concolores du Laos que j'avais sauvé de la mort au cœur des calcaires de la jungle Indochinoise .

  • #1

    laurent gervereau (vendredi, 18 janvier 2019 08:42)

    je cherche à joindre Alika Lindbergh dont je n'ai plus les coordonnées. Je dirige le Musée du Vivant et Nuage Vert - musée mobile Vallée de la Dordogne (nuage-vert.com). Cela me ferait très plaisir d'avoir des nouvelles...