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Hommage à Angélique, l'héroïne de Anne Golon

Lorsque j'ai appris la mort d'Anne Golon, le 14 juillet 2017, l'envie m'a prise de relire la série Angélique Marquise des Anges que j'avais dévorée pendant mon adolescence, alors que les films de Bernard Borderie faisaient fureur, constamment rediffusés à la télé. Je me suis d'ailleurs longtemps demandée pourquoi cette saga avait été interrompue après le cinquième film, malgré son succès, alors que la série littéraire comporte treize volumes.

 

Naturellement, les bouquins que j'avais lus n'étaient plus en ma possession depuis longtemps... ou peut-être les avais-je empruntés à la bibliothèque, je ne sais plus. Bref, il me fallait les racheter.

Après avoir pris quelques renseignements sur internet, à droite et à gauche, j'appris qu'Anne Golon avait entrepris de rééditer, chez Archipel, tous les volumes en version augmentée, car son texte avait été coupé par ses premiers éditeurs Colbert et Trevise. Ce sont ces six opus parus que j'ai lus en premier. Les enrichissements en question m'ont vite ennuyée, en particulier les préliminaires interminables et tout empreints d'un raide protocole du mariage du roi Louis XIV avec l'infante d'Espagne Marie-Thérèse, à Saint-Jean de Luz. Ces développements historiques, ne m'ont paru bons qu'à diluer la narration et ôter beaucoup de dynamisme à l'intrigue. Je ne les recommande donc pas, sauf aux férus d'Histoire.

 

Là-dessus, j'ai entrepris de racheter, d'occasion, les exemplaires "poche" parus chez J'ai Lu. Quelle n'a pas été ma stupeur lorsque je me suis rendu compte que les prix se mettaient à flamber dès lors qu'on arrivait aux trois derniers volumes. Avec La victoire d'Angélique, le tout dernier épisode paru en 1985, on atteint au minimum 70 € pour aller jusqu'à plus de 200€. Autant dire que je vais le chercher en brocante à prix plus modéré ou alors, je ne le lirai pas. J'ai d'ailleurs vu sur un blog dédié à Anne Golon que les trois derniers volumes baissent en qualité. Mais bon, je n'en suis pas encore là.

 

Ensuite, je me suis amusée à lire les livres tout en regardant les films qui leur correspondent. Si je suis toujours autant charmée par la beauté flamboyante de Michèle Mercier, que subliment des tenues plus déshabillées les unes que les autres, j'ai vite compris pourquoi les films en question ne pouvaient que déplaire à Anne Golon. En effet, l'histoire est constamment raccourcie et transformée, de telle façon qu'Angélique finit par apparaître comme une petite allumeuse qui se sert de sa beauté pour croquer tous les hommes de belle allure qui passent à sa portée. Si à l'époque où les films sont sortis (1964 à 1968), présenter une femme comme une courtisane sans peur et sans reproche et néanmoins une héroïne qui triomphe de tous les dangers a dû plaire au public tant masculin que féminin, c''était cependant réduire à outrance le travail d'Anne Golon qui comporte bien des recherches historiques tout-à-fait cohérentes et documentées. Par exemple, Louis XIV a eu pour maîtresse une jeune beauté à la chevelure blond vénitien qui se prénommait Angélique et c'est bien un policier nommé Desgrez qui a arrêté la Marquise de Brinvilliers dans l'affaire des poisons.

 

Serge Golon, le mari d'Anne, un personnage lui aussi, a d'ailleurs fortement contribué à toutes ces recherches historiques, du moins au début. Voilà pourquoi les premières parutions étaient signées Anne et Serge Golon. On peut y voir aussi, tout comme pour le couple de Nathalie et Charles Henneberg, une forme de misogynie éditoriale qui avait pour conséquence qu'une femme écrivant seule n'était pas prise au sérieux à l'époque.

 

On peut se demander dans quelle mesure le couple Anne et Serge Golon a des ressemblances avec celui d'Angélique de Sancé de Monteloup, une femme aventurière et combattante et de Joffrey, comte de Peyrac de Morens d'iristru, alchimiste et sorcier. Par exemple, Serge Golon, de son vrai nom Vsevolod Sergeïvich Goloubinoff, est un aristocrate russe qui a quitté la Russie pour la France avec ses parents au moment de la révolution de 1917. Il parle onze langues. C'est un géologue et un chimiste de renom qui gagne sa vie en prospectant des mines d'or en Chine, en Indochine, au Laos - puis en Afrique où il rencontre la jeune journaliste française, de son vrai nom Simone Changeux. Voici donc venu pour Simone, l'homme mystérieux qui transforme le plomb en or.

 

Les Angélique, contrairement à ce qu'évoquent leurs couvertures, ne sont pas des romans de gare, mais plutôt des romans historiques dans la mesure où ils racontent une histoire située au 17ème siècle avec une exactitude que très peu d'auteurs du genre approchent. Au Canada par exemple, Anne Golon est reconnue pour faire autorité dans l'histoire des guerres franco-indiennes du 17ème siècle.

Mais c'est également beaucoup plus que des romans historiques. A travers les treize livres de cette saga, Anne Golon conte l'histoire d'une femme indépendante, qui ne s'appuie pas sur les hommes pour vivre. C'est un discours peu habituel dans les années soixante.

Au delà de cette image de femme, un plaidoyer humaniste pour la tolérance et le respect de l'autre, sous-tend toute l'histoire : la quête d'une vie libre et heureuse, hors de tout préjugé. S'ajoutent à cela un style, un souffle et un lyrisme qui étonnent dans le genre, d'une écriture souvent peu recherchée, du roman historique.

 

Les Angélique se vendent en moyenne à 12 millions d'exemplaires par an en Russie. Le Japon a produit un opéra et une bande dessinée extrêmement populaires directement inspirés des livres. Les films, diffusés régulièrement sur les télévisions européennes, sont édités en vidéo et en DVD.  Pendant ce temps, Anne Golon termine sa vie à Versailles dans un dénuement proche de la pauvreté, en travaillant au 14ème tome de son œuvre, Angélique et le Royaume de France, qui ne verra jamais le jour . En 1995, elle a dû attaquer le groupe Hachette et ses deux filiales Jean-Claude Lattès et les éditions du Chêne, estimant que depuis plus de dix ans, Hachette lui verse des sommes dérisoires sans aucun rapport avec les ventes réelles - Hachette s'étant permis en outre de céder les droits sur Angélique à des maisons de production et à des éditeurs étrangers sans la consulter.

 

Anne Golon n'est plus,

Michèle Mercier a 78 ans,

Angélique, elle, ne vieillira jamais.

Commentaires: 1
  • #1

    Anje Line (dimanche, 13 octobre 2019 09:10)

    Madame Chris,

    Que voilà un bel éloge de Anne Golon, son mari et de leur travail.
    Sur les grandes lignes je suis d'accord avec votre synthèse de l'histoire d'Anne et de son époux.
    Il est en effet regrettable qu'à l'époque elle ait été mise en retrait par les éditeurs alors que, ainsi le disait elle, elle avait voulu signer de son nom les livres qu'elle avait écrits.
    Il y a 10 ans, alors que l''internet connaissait un élan de popularité, je tombai sur un article au sujet d'Anne Golon dont j'appris les conflits avec ses éditeurs et autres voleurs de droits. Je fus à la fois extrêmement heureuse de la savoir en vie, mais sidérée et triste pour elle.
    Quant à son Oeuvre, je me suis souvent demandée si elle ne s'était pas inspirée de son propre vécu et sa propre histoire d'amour pour la réaliser.
    Récemment j'ai eu connaissance de cette vie que vous racontez, et j'ai compris la même chose que vous.
    Cela m'a enfin permis de boucler la boucle...
    Pour moi sa perte fut un choc, je m'étais mise à la croire immortelle...
    Cette femme était remarquable.
    Anje