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La Planète sauvage de René Laloux et Roland Topor

   Ce film est adapté du roman de science-fiction Oms en série de Stefan Wul (1957) avec lequel il prend quelque liberté au niveau du scénario.

   Les Draags vivent sur une planète nommée Ygam. Ils ont une apparence humanoïde, la peau bleue, les yeux rouges, des oreilles en forme de coquillages et mesurent douze mètres de hauteur. Les enfants draags s’amusent volontiers avec de petits animaux : les oms, originaires d’une planète dévastée nommée Terra. Les oms n’ont pas l’intelligence des Draags, basée sur la méditation, mais ils se domestiquent facilement. L’inconvénient est que leur cycle de vie est plus rapide que celui des Draags et qu’ils ont tendance à proliférer dans les parcs. Lors d’un jeu enfantin qui tourne mal, la mère d’un bébé om est tuée et Tiwa le recueille dans sa maison avec l’assentiment de ses parents. Tiwa nomme son bébé om Terr et le munit d’un collier rappeleur qui peut être activé grâce à un bracelet à son poignet.

   Tiwa peut apprendre à son rythme grâce à un serre-tête connecté. Mais une sorte de court circuit a pour effet de relier le collier de Terr à ce serre-tête, si bien qu’il apprend les leçons de Tiwa en même temps qu’elle.

   Le temps passe et Tiwa devient adolescente et se désintéresse de ses jouets. Terr s’ennuie et décide de fuir en emportant le serre-tête instructeur. Il rencontre une om sauvage qui le débarasse de son collier d’asservissement et le ramène auprès de sa tribu. Là, son accoutrement d'om de luxe déclenche l’hilarité de la tribu, mais Terr va savoir très vite se rendre indispensable grâce à son savoir et à l’outil qui le prodigue. Sa connaissance de la langue des Draags lui permet d’anticiper une “désomisation” du parc où la tribu a établi son repaire. Seule une partie des oms parvient à s’enfuir après voir dû tuer un Draag qui s’apprêtait à les détruire. Les survivants trouvent refuge dans un ancien abri pour fusées où ils réussiront à produire des engins à leur taille pour émigrer sur un satellite d’Ygam : la planète sauvage.

   Arrivés là, ils se rendent compte que cette planète joue un rôle particulier dans le processus de reproduction des Draags. Forts de cette information capitale, ils pourront alors négocier pour obtenir leur indépendance et vivre en harmonie avec leurs voisins.

 

  Ce film a été réalisé en 1973, en Tchécoslovaquie pour des raisons budgétaires.  Quand on sait que sur les quatre ans de tournage dus aux lenteurs de la bureaucratie communiste à Prague, Roland Topor n'est resté sur place que 15 jours, on peut tirer un sacré coup de chapeau à René Laloux et son équipe de 25 collaborateurs, tchèques pour la plupart. Leur persévérance a donné naissance à l'un des premiers films d'animation français de SF qui inspira bien d'autres réalisateurs par la suite, japonais notamment.

   J'attribue une mention spéciale à la bande son d'Alain Goraguer qui s'accorde merveilleusement avec les images. Même si l'ensemble peut apparaître à certains un peu daté, il n'en reste pas moins que l'ombre de Jérôme Bosch plane sur les dessins de Topor, créant des scènes parfois terrifiantes où la cruauté gratuite est encore accentuée par la lenteur des plans et l'étrange beauté de la composition picturale. Je pense à la première scène où les enfants draags jouent avec la femme om essayant de sauver son petit, comme des chats avec une souris. Ou encore à l'animacule sortant d'un œuf sous le regard placide d'un drôle de cochon à trois narines qui s'empresse de le gober tout cru. Même la végétation est pointue, piquante, agressive. Seule la planète sauvage semble empreinte de quelque chose qui peut s'apparenter à l'amour.

   Cette fable ramène l'homme au rang de l'animal qu'il torture volontiers, sûr de son bon droit. Ici, les rôles sont inversés. Seuls le savoir, la connaissance permettront à la race dominée de se libérer.

  J'aurais aimé un final amené plus en douceur mais il semble que les contraintes multiples de budget, timing et autres aient contraint René Laloux a effectuer ce choix d'une voix off racontant la fin de l'histoire.

   Prix du jury au festival de Cannes en 1973 dans la catégorie film (et non dessin animé), La planète sauvage est une oeuvre intemporelle, profonde, empreinte de poésie et d'intelligence. Loin d'être daté, ce film, expérimental comme bien d'autres créations artistiques de cette époque empreinte de liberté, acquiert au contraire une actualité saisissante de par sa réflexion sur le statut de l'animal notamment mais aussi sur l'esclavagisme, la connaissance en tant qu'outil de pouvoir, les rapports de force entre sociétés, les génocides, la condition de l'homme dans le monde tout simplement. 

    Cette oeuvre unique en son genre peut être considérée comme un chef-d'oeuvre du cinéma. CB

Publié dans Gandahar 23 La Terre après l'Homme

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