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Le Nom du monde est forêt de Ursula Le Guin

Ce roman se place dans le cadre du cycle de Hain ou de l’Ekumen. Il parle d’altérité, tout comme La Main gauche de la nuit (chroniqué dans Gandahar 12) sauf qu’ici l’autre n’est plus un individu mais tout une société.

Athshe est une planète qui a été ensemencée par le peuple de Hain. Les différentes essences d’arbres d’origine terrienne qui y ont été transplantées en font maintenant une immense forêt où vivent les descendants des premiers colons hainiens : des êtres d’apparence pacifique voire léthargique, ressemblant à de petits singes verts. Un million d’années plus tard, la Terre qui a épuisé toutes ses ressources naturelles y voit une providentielle réserve de bois et entreprend de ratisser la planète en asservissant ses habitants qui lui servent de main-d’œuvre gratuite.

Au sein de la colonie terrienne, nous faisons connaissance avec le capitaine Davidson, la pire engeance de militaire qui soit : brutal et calculateur, d’intelligence rigide et limitée, paranoïaque, sûr de son bon droit et de sa supériorité en toute circonstance. À côté de lui, Raj Lyubov est un scientifique tourné vers l’écologie qui a une fonction d’observateur mais dont personne ne tient compte. L’événement déclencheur du récit est un combat à mort entre Selver, un « créate » esclave et Davidson qui a provoqué la mort de sa femme en la violant. Lyubov intervient pour empêcher Davidson de tuer SelveAr et prend ce dernier avec lui pour le soigner et le protéger. Il s’ensuit entre eux deux la naissance d’un dialogue ou chacun apprend à l’autre comment comprendre son peuple. Cependant, Selver, qui est devenu un dieu pour les siens, ne supporte plus de les voir réduits en esclavage et les entraîne à la révolte, brûlant un camp avancé de bûcherons.

Arrivent alors les envoyés d’un vaisseau en orbite, rattaché à la Ligue des Mondes nouvellement au pouvoir. Confrontés à la situation tendue sur Athshe, ils remettent aux colons terriens un ansible qui leur permettra de prendre des directives de la Terre en temps réel. Les ordres aussitôt reçus sont les suivants : libérer immédiatement tous les Athshéens détenus dans les camps de travail.

Mais rien ne se passera aussi simplement et il faudra encore plusieurs révoltes pour parvenir à un accord durable.

 

Le contexte de ce récit, l’année où il a été écrit et la nationalité de l’auteure évoquent la guerre du Viêt-Nam, bien entendu, mais aussi les politiques coloniales de certains pays à certaines époques, accompagnées de massacres et d’esclavagisme en toute impunité (atrocités commises au Congo belge, par exemple, qui ont détruit une nation entière, toujours vampirisée, affamée et mise à mal aujourd’hui). De tels exemples ne manquent pas… Dans la conjoncture actuelle on pensera aussi à la destruction des forêts ancestrales et de leurs habitants par des sociétés multinationales pour des enjeux de profit (Amazonie, Indonésie…).

En tissant cette histoire, Ursula Le Guin nous immerge peu à peu dans un monde différent, comme elle sait si bien le faire. Peuple de la forêt, Les Athshéens se sont harmonieusement fondus en elle. Ils semblent ne jamais dormir tout en ayant une personnalité plutôt apathique. En réalité, le rêve représente une fonction importante dans leur mode de vie, une source de sagesse, de divination d’où peut surgir, au besoin, une action qui va changer la réalité. Les Athshéens n’ont pas de chef bien déterminé, mais leurs grands rêveurs font figure de chamans, de dieux lorsqu’il s’agit d’affronter un danger, pour aussi bien reprendre une attitude plus modeste ensuite.

 

Les dernières phrases de ce court roman, récompensé par le prix Hugo en 1973, sont frappantes et laissent entendre que même après plusieurs générations le traumatisme engendré par la colonisation ne s’effacera pas. Il n’y a qu’à voir l’histoire récente de l’Algérie pour s’en convaincre. CB

 

Chronique parue dans Gandahar 23 en avril 2020

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